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Ah ! les bobards de Clemenceau !

Dernière anecdote, personnellement recueillie. Un soir, je m’en vais à L’Aurore. Je venais demander à son rédacteur en chef d’intercéder pour je ne sais quel révolutionnaire menacé d’expulsion. J’avise, dans son bureau, un homme d’un certain âge, falot, timide, courbé en deux sur sa chaise et qui paraissait attendre le bon plaisir du patron. Au moment de quitter Clemenceau, qui me reconduisait à la porte, je l’interrogeai :

— Qu’est-ce donc que ce type assis dans votre bureau ?

Clemenceau se mit à rire :

— Comment ! Vous ne le reconnaissez pas ? Voyons, cherchez… Tout le monde le connaît, ce c…‑là.

— Euh ! je ne vois pas.

— Facile pourtant… C’est le héros, le fameux héros…

— Quel héros ?

— Le colonel Picquart.

Dehors, je n’en revenais point. Ce sacré diable vous avait une façon de déboulonner les grands hommes et d’accommoder les gloires… Et je revoyais la silhouette effacée, mièvre, de pauvre honteux, du Héros, enfoui dans l’ombre et dans la crainte.

Quelques semaines après, Clemenceau était ministre et le Héros — ce c…‑là ! — prenait le portefeuille de la Guerre.


II