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On racontait alors qu’au Gaulois, le directeur consulta ses amis. Tous croyaient à une plaisanterie. On délégua, pourtant, quelqu’un auprès de Tailhade, avec mission de l’interroger adroitement. Avait-il vraiment écrit la lettre ? Le poète répondit affirmativement.

Le lendemain, le Gaulois publiait cette missive extraordinaire — véritable aubaine pour lui. Et ce fut une stupeur. Comment, lui, Tailhade !… Ses derniers défenseurs courbèrent la tête, résignés. On proclama : Tailhade est mort !

Il devait se reprendre promptement. Mais ce qu’il put souffrir, par la suite, de cette incartade, ceux qui l’ont approché, seuls, peuvent le dire. C’était le remords persistant et lancinant de sa vie. Il y revenait sans cesse. Vers 1907, il m’écrivait, pour me prévenir de sa visite prochaine, à la Santé où je villégiaturais :

— Je suppose, encore que l’on m’ait refusé, il y a sept ans, la visite de Sébastien Faure, que ma présence ne fera pas difficulté. Depuis que je me suis « vendu » à Arthur Meyer, que je suis devenu catholique et vais à confesse pieusement, j’ai pour moi l’Église et la police, les flics, le cardinal-archevêque et la rédaction du Gaulois

Cette obsession ne le quitta guère. Jusqu’à sa mort, le pauvre Tailhade devait regretter amèrement son geste inconsidéré. Du moins a-t-il pu s’en aller avec la certitude que tout cela était oublié et pardonné.