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Et, brutalement :

— Allez-vous-en… Vite !… Filez !… Que je ne vous voie plus !

Il ne le répète pas deux fois. Nous sommes déjà dans la voiture. Au revoir, mon lieutenant !

Comment, j’ai pu passer tout de même la frontière ? Avec la plus grande simplicité, en plein jour, sans anicroches. D’abord, après échange de vue, nous avions décidé de reprendre la bagnole, d’emprunter un autre pont et, au cas où l’on s’opposerait à notre passage, d’user du browning. C’est comme je vous le dis. Nous étions prêts à tout. Un rien et nous allions peut-être — mais non, nous n’en avons pas la moindre envie — jouer les Bonnot et les Garnier.

Nous n’avons pas fait usage de nos revolvers. Nous n’avons pas gâché nos balles. Seulement, une poignée de marks. Le douanier nous a salués respectueusement.

Enfin ! Nous y voilà dans ce sacré Luxembourg. Les camarades allemands nous quittent avec force démonstrations d’amitié et, munis de passeports, s’en retournent chez eux. R… et moi, nous montons dans un tacot qui nous conduit chez le père du communiste luxembourgeois, un brave type de gentleman fermier, grand chasseur et grand mangeur devant l’Éternel. Repas plantureux, gibier, vins de Bourgogne.

J’ai rendu ses liasses de marks à R… Je l’ai vu qui, discrètement, refilait le paquet à son brave homme de père, lequel le plaçait délicatement, soigneusement, dans un tiroir fermé à triple clef. La propagande n’y perdra rien. Mais j’aime autant avoir les poches vides.