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En attendant, le bon camarade m’avait pris à part dans le train et m’avait expliqué, non sans quelque embarras :

— Voilà. Je viens de toucher de l’argent pour le journal et pour la propagande… des liasses de marks… Mais l’on me connaît trop au Luxembourg. Ces gens-là sont capables de vouloir me fouiller… Alors, tu comprends ?…

— Que faire ?

— Tu devrais prendre quelques liasses sur toi… Ce sera autant de moins que j’aurai. Tu me les rendras lorsque nous serons arrivés.

Sans réfléchir, j’acquiesçai. Je pris des poignées de marks. J’en fourrai dans les poches de mon veston, dedans, dehors, dans mon gilet, dans ma chemise. J’étais tapissé de papier-monnaie. De plus je portais, dans une petite valise, une boîte de cigares excellents et je tenais de l’autre main la poupée, la fameuse poupée de Nuremberg.

Le train s’ébroua à la gare-frontière. Tout le monde descend ! Nous pénétrâmes dans un petit bureau. Je tendis mon coupon de dix francs à un employé, avec ma vieille carte d’électeur. Sans le moindre étonnement, il griffonna je ne sais quoi sur ma carte et me la rendit. Le tour était joué. Il n’y avait plus qu’à prendre le tacot qui conduisait au Luxembourg.

Ces fonctionnaires du Grand-Duché me paraissaient délicieux.

À ce moment, un monsieur à casquette et à galons s’approcha de moi :

— Montrez vos papiers.

Hein ! Je tendis, un peu anxieux, ma carte.

— Vous n’avez pas autre chose ?

— Non… Mais, en France, c’est notre pièce d’identité.