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« comme par hasard », à la brasserie, dans les « Konditori » où je dévorais chocolat et pâtisserie… Tenez, un jour, dans l’après-midi, je me risquai dans un grand magasin, quelque chose comme nos « Galeries », et je me perdis à travers les rayons (qui n’étaient point communistes). Ce que j’allais faire là ? Simplement chercher une poupée, une de ces énormes poupées de Nuremberg dont la face cireuse aux yeux de faïence évoque le visage lunaire de Vaillant-Couturier.

Cette poupée, je comptais l’emporter, pour la plus grande joie de ma fillette, à Paris. Comme on voit, je ne doutais de rien et de tels soucis futiles ne témoignaient point d’une grande ardeur révolutionnaire.

R…, mon guide luxembourgeois, m’avait laissé tomber. « Rendez-vous important, me dit-il, avec le délégué spécial de Moscou. Question de fonds pour la propagande. » J’errais donc dans le kolossal magasin, m’efforçant de me faire comprendre des vendeuses. Soudain, j’eus l’impression que quelqu’un était derrière moi, sur mes pas.

Je poursuivis ma promenade.

À l’aide d’une glace, d’un coup d’œil prompt, j’identifiai mon espion. C’était le redoutable camarade dont j’ai parlé, un type terrible à faconde dangereuse, qu’on voyait toujours souriant et qui faisait profession d’aimer beaucoup les « petites fâmes de Pariss ».

Avant reconnu mon persécuteur, je résolus de le semer. Je filai dans un rayon à droite, tournai à gauche, fis demi-tour, m’enfonçai dans un passage ; Vains efforts. Je le sentais toujours derrière moi. Alors, furieux, je me retournai brusquement et lui fis face.

— Tiens, dit-il, avec son sourire stéréotypé sur les lèvres, qu’est-ce que vous faites donc ici ?

— Et vous ? répliquai-je, brutalement.

Il mit un doigt sur ses lèvres :