Page:Méric - À travers la jungle politique et littéraire, 2e série, 1931.djvu/75

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Bela Kun, cependant, s’expliquait, par l’organe de Révo :

— Il faut absolument toucher les soldats. Pour cela, il est indispensable qu’on envoie des équipes de Paris, des jeunes gens armés de tracts et de brochures.

Du coup, je sursautai :

— Des équipes d’agitateurs… ici… en Allemagne… en territoire occupé. Pas possible.

— Pourquoi ? demandèrent sévèrement Révo-Bela Kun.

— Parce que, ma foi, cette propagande antimilitariste accomplie, en territoire ennemi, sous les yeux de l’ennemi, serait par trop périlleuse. Ce serait envoyer directement ces jeunes gens au conseil de guerre, peut-être même au poteau, étant donné qu’on les accuserait de trahison…

Bela Kun, au fur et à mesure, que je m’expliquais, non sans quelque véhémence, ne cessait de m’observer. J’ai su, depuis, qu’il entendait parfaitement le français. Il crut nécessaire, toutefois, de se faire traduire mes observations. Et pendant que Révo parlait, traduisait — interminablement — le dictateur secouait la tête, l’air mécontent. À une table, à côté, deux « camarades » prenaient des notes.

Bela Kun parut réfléchir un instant et me fit dire par Révo :

— Un révolutionnaire doit braver les dangers et risquer sa vie.

— Sans doute, ripostai-je, mais avec quelque utilité… Or, les jeunes gens que l’on expédierait en Rhénanie ne pourraient même pas commencer leur besogne. Ils seraient immédiatement signalés, repérés. Ils ne pourraient franchir les frontières sans passeports, s’installer paisiblement dans une ville sans éveiller l’attention…