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quer d’entraîner des conséquences incalculables. Et nous étions là quelques-uns à écrire cette formidable page d’histoire.

Avouez que, quoique mon rôle fût bien modeste et effacé, il y avait de quoi en concevoir un juste orgueil.

Mais quelle étrange révolution ! Le matin, pas plus que la veille, je n’avais observé le moindre symptôme. La foule était calme, à son habitude. Pas un mouvement suspect, pas une parole, pas même un regard. La tranquillité la plus absolue. Et, tout à coup, le déclenchement… sur un signe mystérieux, sur un ordre jeté on ne savait d’où !… Jamais, à Paris, on ne concevrait une révolution semblable. Il y aurait, d’abord, du chahut, des rues enfiévrées, des chants, des cris, des menaces… Ici, rien. La révolution s’accomplissait automatiquement, à l’heure voulue, au lieu indiqué, réglée comme papier à musique. Et ce dictateur, grimaçant, hilare, se frottant les paumes ! Je n’en revenais pas.

Révo, d’instant en instant, me chuchotait à l’oreille :

— Du nouveau !… Une usine est en flammes. Il y a eu rencontre avec la troupe. Quinze blessés. Deux morts.

Je regardais Bela Kun. Son visage exprimait une intense jubilation. Il dodelinait du chef, se frottait les mains avec une ardeur nouvelle.

Un second émissaire, puis un troisième. D’autres détails. Dans un quartier de Berlin, bataille rangée entre les prolétaires et les soldats. De nombreux cadavres. Et Bela Kun, toujours hilare, toujours se frottant les pattes. Puis une explosion dans une fabrique. Puis, l’électricité coupée. Puis des rencontres sanglantes, encore des morts, des blessés, des victimes. Révo ne cessait de répéter :

— Ça va !… ça va !

Et Bela Kun ne cessait de rigoler. Un instant, il se tourna vers moi, clignant de l’œil, prononça :