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à la moindre alerte… C’était R… qui m’avait dit, en se frottant les mains :

— Ça va chauffer !

Et il avait ajouté :

— Nous allons le voir !… IL est ici.

« Il », c’était le redoutable dictateur, l’homme qui représentait la Révolution russe, le grand chef. Une petite émotion me gagnait au fur et à mesure que nous approchions. J’avais hâte de contempler de près ce phénomène. Enfin, nous arrivâmes. Selon le rite, R… frappa à une porte d’une façon spéciale, prononça quelques mots et nous fûmes introduits dans un salon sommairement meublé.

Une demi-douzaine de personnes se trouvaient là. Je cherchais des yeux le dictateur. Il n’était point encore arrivé. Les autres bavardaient paisiblement. Par bonheur, je découvris un camarade hongrois qui répondait au patronyme de Révo (un renégat, celui-là aussi) et qui me servait d’interprète. Il me dit :

— Ça vient de commencer.

— Quoi ?

— La révolution…

Je dissimulai ma surprise. La ville m’avait paru bien tranquille, comme à l’ordinaire. Aucun émoi dans les rues. Pas de barricades. Pas de foules déchaînées. Pas de service d’ordre. Comment diable s’y prenaient-ils pour faire leur révolution ?

Comme j’en étais là de mes réflexions, IL fit son entrée tout souriant. « Il », lui, Bela Kun. Je le dévisageai avec stupéfaction. Imaginez un garçon boucher endimanché, moulé dans un complet impeccable, coiffé d’un chapeau melon. Une grosse tête, un gros cou, de grosses mains, tout rond, les yeux ronds, le regard rond, la bouche ronde… Physionomie quelconque où la jovialité