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de cette langue… Et à propos ?… C’est depuis l’année dernière que vous parlez si bien le français ?

Son sourire s’accentua :

— Oh ! il y a longtemps…

— Alors, voulez-vous m’expliquer pourquoi, à Berlin, pas une seule fois vous ne m’avez adressé la parole et pourquoi vous avez feint de ne pas me comprendre ?

Il se mit à rire franchement.

— C’est notre force de ne pas comprendre les langues étrangères chez nous, tout en les comprenant fort bien. Ça nous permet de voir ce que les camarades du dehors ont dans le ventre.

Très fort, en effet, le camarade. Je me rendis compte, un peu tard, qu’ils « m’avaient eu ». Mais mieux valait en rire. D’autant que tous ces braves types ont mal tourné. Brandler est devenu un traître et un renégat. Ce pauvre Thaleymer, qui s’efforçait de me chapitrer, est devenu un traître et un renégat. Les hommes qui les ont chassés, exclus du Parti, sont des traîtres et des renégats. Il n’y a que des renégats dans le communisme. Ceux d’hier, ceux d’aujourd’hui, ceux de demain. Un renégat après l’autre.

Bela Kun aussi m’a eu.

Encore un qui ne connaissait pas une syllabe de français.

Je fus mis en sa présence, son auguste présence, un matin vers les midi. Cela se passait dans un quartier ouvrier de Berlin. Depuis plusieurs jours, nous allions de réunions en réunions, dans des salles basses et grises, donnant des mots de passe, nous séparant brusquement