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Doméla Nieuwenhuis, il apparut à la tribune, les veines du cou gonflées, les tempes saillantes, les yeux rouges. Cela fit un certain effet sur les auditeurs qu’il paraissait vouloir dévorer. Et il expliqua son plan, son fameux plan de guerre pour la paix, avec une sorte de rage.

On se hasarda à lui faire observer que la guerre ne dépendait ni de lui ni des délégués. Alors, Darien, sans se démonter, d’un geste audacieux, précisa sa pensée.

— C’est pourtant bien facile… hum !… vous m’entendez… hum !… Nous n’avons qu’à passer la frontière, hum !… ramasser des cailloux… hum !… casser les vitres de l’ambassade… hum !… renverser un poteau-frontière, hum !… hum !…

Sa voix n’eut aucun écho. Ses conseils ne furent pas suivis. Et cette année-là, nous n’eûmes pas encore la guerre.

À Paris, le bon Charles Malato, qui avait hanté quelque peu Darien à Londres et ne l’aimait pas beaucoup, crut devoir répliquer aux attaques que le terrible pamphlétaire multipliait contre les anarchistes et les révolutionnaires. Ah ! le malheureux ! qu’est-ce qu’il prit ! Darien le massacrait à coups de calembours. Malato ayant écrit un papier intitulé « À notre Tour d’Ivoire », l’autre riposta par ce titre : « À notre tour d’y voir ! » Il traitait Malato, qui l’accusait de mœurs spéciales, de « macaroni au fiel d’âne », et l’assimilait à une charogne. C’était terrible. Nous nous disions : « Si jamais ces deux hommes se rencontrent, ça va devenir effroyable. »

Ils se rencontrèrent, un après-midi, au siège de l’A. I. A., où nous étions réunis à quelques-uns. Tous deux, très forts, de haute taille, Malato plein de douceur et de politesse, Darien toujours coléreux. Un instant, ils se dévisagèrent, dans le silence impressionnant qui venait de s’établir autour d’eux.