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dorés ou crasseux vient, depuis des années, chercher son immonde pâture. Non ! La Butte et les pentes qui dévalent vers la place Pigalle, la place Blanche, la place Clichy, étaient l’asile pittoresque, le refuge de toute une race d’artistes, de littérateurs en herbe, de ratés, de poètes faméliques…

Montmartre et ses boîtes de nuit, c’était leur domaine. Ils y régnaient sans conteste, accueillis par les bistrots qui les fêtaient, objets de curiosité pour les provinciaux et les étrangers… Douce époque. On vivait pour rien et de rien. On ne mangeait pas toujours et l’on savait s’en passer. On dormait, parfois, à la belle étoile. Nos cadets ne connaissent pas ces choses.

Par exemple, on buvait. On buvait même trop, car on trouve toujours à boire. Je me souviens d’un établissement où l’on nous rinçait à l’œil, des soirées entières, moyennant que nous consentissions (sic) à dire des vers ou à débiter des couplets. Et c’est précisément parce que l’on buvait trop facilement que plus d’un, parmi tant de jeunes hommes extraordinairement doués, s’est laissé enliser dans la crasse profonde et tenace de la bohème.

Mais il n’y avait alors ni « coco », ni jazz-band, ni charleston. Et le bock valait quinze centimes.

Dès ses débuts, Couté connut le succès. Ce fut rapide. Il récitait des poèmes avec l’accent savoureux du terroir. Et quels poèmes ! Il y avait, là dedans, des lamentations, des hurlements, des cris de révolte, et cela baignait dans une immense pitié, dans un amour inaltérable de la terre et des paysans. Cela s’appelait les Chansons d’un Gas qu’a mal tourné : Les Conscrits, les Gourgandines, Le Christ en bois :


Christ ed’ l’Églis’ ! Christ ed’ d’ la loi !
Qu’a l’corps, qu’a l’cœur, qu’a tout en bois !