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voleur ! D’Axa se précipite dans le Jardin des Plantes. Un citoyen courageux lui saute à la gorge. Passé à tabac, les habits déchirés, en sang, on le reconduit au poste et, de là, au Dépôt. Le lendemain, sans la moindre explication, on le relâche. Tout cela, parce qu’on portait la dépouille de Carnot au Panthéon, et qu’il n’était pas possible, évidemment, de laisser un aussi redoutable malfaiteur que d’Axa dans les rues de Paris.

Alors, criblé de dettes, un peu dégoûté, ne voyant pas la possibilité de poursuivre la publication de son Journal, Zo d’Axa se tut. Il se reprit à voyager. Ce grand trimardeur s’en alla par les chemins et les canaux, rêvant à des choses inaccessibles, les cheveux dans le vent, les poumons avides d’air libre. Il en avait assez des hommes, de leurs conflits et de leurs misères. Lui, qui ne croyait point aux promesses de la fée Anarchie, n’avait pas bronché lorsqu’on l’avait accusé d’être anarchiste. Se défendre lui paraissait une lâcheté. Mais des anarchistes le traitaient d’aristocrate et — suprême injure — d’intellectuel.

Il avait l’immense tort de repousser tous les dogmes et de ne s’agenouiller dans aucune église.

Il méprisait avec autant de force les maîtres et les esclaves. Volontiers, il prononçait, selon Carlyle : « Je vomis les classes dirigeantes et les classes dirigées me dégoûtent. » Ce révolté hautain, ivre d’indépendance, qui considérait la morale comme un chapitre de l’esthétique et prétendait constamment « agir en beauté », cet En-Dehors (qui fut si souvent l’En-Dedans) dont la fine silhouette évoquait les gentilshommes de la Renaissance, prit le parti de se taire. Il renonça à la bataille stérile.

Mais bientôt l’Affaire Dreyfus bouleversait le monde. Les forces éternellement ennemies s’affrontaient. C’était le cas de rappeler le vers de Hugo, délirant :

C’est ici le combat du jour et de la nuit.