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atrocement mutilé et complètement aphone pour avoir trop hurlé : « A bas la guerre ! »

Le lendemain, les royalistes prétendirent nous donner la réplique. Ils se ruèrent, à leur tour, sur les boulevards. Mais, cette fois, pas de police. Le champ libre ! Comme je me trouvais aux environs du Cardinal, je vis, autour du café, une foule énorme et bruyante. Je m’approchai. Dans le milieu de la salle, parmi les cris, les vivats, les clameurs, j’aperçus un gros homme, rouge et mouillé de transpiration, qui, juché sur une table, gesticulait éperdument, battait l’air de ses bras courts. Je m’approchai encore. J’entendis :

— Patrie !… France !… Armée !… Devoir !… Guerre !…

Puis le gros homme sauta à terre, suivi par la foule qu’il entraînait. Je le reconnus. C’était le sympathique Léon Daudet.

Mobilisé quelques jours après, j’ai souvent évoqué cette scène inoubliable, au cours des quatre années de massacres. Je revoyais le grand patriote Léon Daudet, invectivant, menaçant, salivant avec fureur… Tout un symbole ! Allez ! enfants de la Patrie !

Léon Daudet préludait à ses exploits guerriers et glorieux par la prise du Cardinal. Et, très courageusement, il envoyait les autres, ses amis et ses partisans, toute une jeunesse ardente et folle, vers des combats auxquels les avait fort mal préparés la petite guerre du Quartier Latin —la guerre des gosses.


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