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nous rencontrions ces messieurs du Roi au Café de la Presse — le café qui vit l’assassinat de Jaurès. Là ! c’était un terrain neutre. Chacun s’occupait de revoir ses épreuves ou ses morasses. Pas un geste de défi, pas la moindre menace dans le regard.

Au Quartier, il y avait également des « terrains neutres » où l’on se retrouvait entre deux bagarres. Aux coups succédaient des discussions académiques, devant des demis de bière. J’ai coudoyé, dans ces coins-là, des royalistes avec lesquels j’entretenais personnellement de cordiales relations, tels que le malheureux Lagrange, par exemple, tué au front, Henri de Bruchard, mort depuis, ou encore l’innocent Rabourdin et tant d’autres, qui, depuis, ont abandonné le Roi, ses pompes et ses œuvres.

Mais quand la bagarre surgissait quelque part, il n’y avait plus de camaraderie. On cognait sans ménagements. Et, à vrai dire, il y avait beaucoup d’enfantillage dans cette affaire. Cela nous faisait songer, parfois, aux petites batailles que se livrent les gamins, de village en village ou de quartier en quartier, dans les grandes villes.

Vers 1914, on avait cessé de se battre. Le Quartier Latin était plus paisible. Les camelots, d’ailleurs, paraissaient avoir renoncé à leurs excentricités.

Puis la guerre, la vraie, la sale guerre, s’abattit sur tous. Et, avant de s’engager dans la terrible aventure, révolutionnaires et royalistes eurent une dernière occasion de se mesurer. Nous avions, le jeudi soir qui précéda la mobilisation, organisé une manifestation contre la guerre, sur les boulevards. La police s’en mêla. Ce fut une soirée mouvementée et même sanglante. Le député socialiste Jean Bon fut assommé par les policiers. Un des nôtres, l’infortuné chansonnier Israël, qui devait trouver la mort à Berry-au-Bac, nous revint la figure en sang,