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puis, s’arrêtant devant les affiches, ils lacéraient tranquillement les appels royalistes. Cela dura à peu près jusqu’à onze heures. Pas un camelot à l’horizon. Avaient-ils eu vent de cette invasion ?

L’état-major des Jeunes Gardes se tenait dans un petit café, prêt à intervenir.

Lassés, au bout d’une heure, de ces promenades infructueuses et n’apercevant pas le bout du nez d’un royaliste, les Jeunes Gardes se formèrent en un groupe compact et je les conduisis à la Chope Latine.

La salle était à peu près comble. Mais il n’y avait là que des consommateurs inoffensifs et indifférents. Nous montâmes alors dans une salle du premier. Et, bientôt, ce fut, parmi la clientèle du bas, une prodigieuse stupéfaction. L’hymne, révolutionnaire, l’Internationale, s’élevait, formidable, clamé par une cinquantaine de poitrines :

Au dehors, la foule se rassemblait. On chuchotait que c’étaient les révolutionnaires descendus au Quartier pour le purger des camelots. Les curieux approuvaient. Après l’Internationale, le chant des Jeunes Gardes. Tout le répertoire y passa. Et, de minute en minute, notre groupe grossissait. Des étudiants républicains se mêlaient à nous. Toute une soirée, nous fûmes les maîtres absolus, incontestables de la Chope, d’ordinaire le domaine des autres — nos adversaires.

Et toujours pas l’ombre d’un camelot. On demandait : « Où sont les camelots ? » On ajoutait : « C’est une plaisanterie. Qu’est-ce qu’on nous a raconté avec les camelots ? Il n’y a pas de camelots ! »

Il n’y en avait pas, en effet. Ces messieurs étaient demeurés bien tranquillement à l’abri. Pas davantage d’agents. Je n’ai jamais compris qu’on ait pu nous laisser ainsi, toute une soirée, chanter, crier, provoquer, mener