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Mais Jaurès parle de cette « idole pourrie » avec tendresse, en enthousiaste. « C’était un grand et large souffle… L’âme de Danton est grande et comme son esprit est haut !!… La parole de Danton, c’est comme un torrent tumultueux et clair qu’alimente l’eau des cimes… Pas une pensée venimeuse ou basse ; pas une insinuation calomnieuse… » Le tribun Jaurès se mire dans le tribun Danton. Par malheur, il n’a vu que l’aspect public de l’homme. Il ne l’a pas suivi, il n’a pas voulu le suivre dans ses calculs, ses combinaisons, ses crapuleuses jouissances, ses lâchetés… Danton était un aventurier de génie, mais un aventurier. Il n’avait point la passion douloureuse d’un Marat, la rigidité froide d’un Robespierre, le renoncement supérieur d’un Saint-Just. Cependant, cette admiration pour Danton — le Danton de la légende — explique tout Jaurès. C’était cela son rêve : se jeter à corps perdu dans la mêlée, soulever les foules, réveiller les consciences et les volontés, animer — l’Animaleur ! Et sa grande supériorité, c’est que lui, Jaurès, ignorait les satisfactions bêtes d’ici-bas, méprisait l’argent, tout entier à son apostolat. Avec ça, profondément réaliste, son bon sens de paysan constamment en éveil. Nous ne sommes pas des ascètes, proclama-t-il un jour. Parbleu ! Et je me souviens qu’un autre jour, à la Cour d’Assises où il était appelé en témoignage dans un procès contre des antimilitaristes, quelqu’un lui ayant demandé : « Que feriez-vous si vous rencontriez un tigre sur votre chemin ? » Jaurès répliquait, parmi les rires : « Je ne suis pas Bouddha ! »

Il n’en reste pas moins qu’on continuera à tirer à hue et à dia, et à l’écarteler, chacun voulant se servir de lui.