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sang et de massacre, l’homme qui réclame constamment des têtes, devient avec Jaurès, qui le connaît bien, un politique de « sens très pénétrant », avec une « tactique de sagesse et de modération ». Il fait le plus souvent un « suprême effort d’impartialité et de sérénité ». Cependant, Jaurès ne l’aime point. Il persiste à voir, en lui, un être en proie à la « méfiance soupçonneuse et à la haine maladive ». Ce qui ne l’empêche nullement de lui rendre complètement justice.

Il n’aime pas beaucoup plus Robespierre, l’homme-prêtre. Mais il l’explique et le situe avec une rare clairvoyance. Il étudie le « grand drame » qui se joue dans « cette âme un peu aride ». Robespierre, plutôt pessimiste, ne veut pas détruire les « réserves d’espérance léguées par le passé » ; il cherche à adapter le christianisme. Son grand tort est d’avoir voulu « prolonger la foi du peuple, sous prétexte que sa moralité était traditionnellement liée à sa foi ». Cela rappelle un peu le couplet sur la vieille chanson qui a bercé l’humanité. Mais Jaurès était pour la science, la vue claire et nette des réalités modernes, la libération des esprits.

C’est pourquoi, son homme, c’est Danton. Jaurès n’a pas assez lu Albert Mathiez et il ne sait point de quelles faiblesses boueuses était composée l’âme de cet « aristocrate du poumon » dont la vénalité donne le vertige. Aujourd’hui, on n’ose même plus discuter l’homme de l’audace et, récemment, dans son volume sur les Hommes de la Révolution, M. Louis Madelin lui-même, tenant compte des précisions apportées par Albert Mathiez, cédait du terrain. Danton, c’est la grande prostituée ; Victor Hugo, dans Quatre-Vingt-Treize, avait vu clair et, avec la divination du génie, il lui fait dire : « Je suis une fille publique, j’ai vendu mon ventre, mais j’ai sauvé le monde. »