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tacle. Je trouvais, là, mon vieil ami Dios, un vétéran du socialisme, l’un des fondateurs du Parti Ouvrier en France. Dios était un compatriote du tribun, et tous deux prenaient plaisir à échanger quelques mots dans leur patois natal. Mais le petit spectacle avait lieu après la réunion, quand Jaurès descendait de la tribune. Il fallait le voir alors, trempé de sueur, haletant, rompu. À la tribune, il fournissait un effort physique « formidable ». Il se tenait là comme un athlète, ramassé sur lui-même, tous les muscles tendus. Après ça, il était en nage, il fondait…

C’est pourquoi on le voyait toujours arriver avec une petite valise, contenant une flanelle et une chemise. L’opération de la tribune terminée, Jaurès se précipitait dans un coin, s’épongeait, changeait rapidement de linge. Mais, au Gymnase Huyghens, c’était le père Dios qui se chargeait bénévolement de retaper et d’essuyer le tribun.

Le spectacle n’était pas banal. Jaurès, le torse nu, continuait à bavarder, se secouait furieusement, gesticulait. Le père Dios, une serviette à la main, se fâchait :

— Tenez-vous donc tranquille, milladious !

Ce soir-là, je lui parlai de Jean-Paul Marat, l’Ami du peuple. Il me dit :

— C’était l’âme de la Révolution… Je l’ignorais presque. Je l’ai découvert en écrivant mon histoire.

Il ajouta, en riant :

— On apprend à tout âge.

Ce sont les dernières paroles que j’ai recueillies de Jaurès. Je ne l’ai pas revu, par la suite. Mais j’ai pu savoir quel rôle il avait joué à la veille de la guerre, quelles inquiétudes le harcelaient et comment il s’était dressé, frémissant, contre l’infâme. Ah ! s’il avait vécu ! Mais quand j’évoque ses derniers moments, j’éprouve une