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la banlieue Sud. Nous étions, en pleine période électorale et nous luttions avec rage contre la loi de trois ans, dont M. Barthou prétendait nous faire cadeau. Le candidat républicain du quartier s’appelait Bouglé. C’était un universitaire, et, comme tel, il avait toute la sympathie de Jaurès. Mais par malheur on ne savait pas très bien si ce candidat était pour ou contre les trois ans.

Grave discussion autour de nos demis de bière. Graziani fonçait, avec toute son impétuosité corse, sur Bouglé. Mauranges défendait le professeur, d’accord en cela avec Jaurès. Je me mis alors à taquiner le tribun. Je lui dis, le plus sérieusement du monde :

— C’est bien simple. Au premier tour, je vote pour le socialiste. Et, au deuxième, je vote pour le réactionnaire ! Ça fera compensation.

Jaurès me regarda un peu effaré. Puis il répliqua :

— Vous êtes formidable.

« Formidable », c’était son mot, son adjectif de prédilection. Au Congrès de Nîmes, quelques années avant, comme je descendais de la tribune après avoir émis un certain nombre de sottises, j’entendis Jaurès qui s’exclamait :

— C’est formidable… formidable !

Mais le plus « formidable » au cours de cette soirée de causerie, ce fut quand j’avançai que la guerre aurait au moins l’utilité de nous apporter la révolution. À l’énoncé de cette ânerie, Jaurès se fâcha tout rouge.

— Non, pas ça ! gronda-t-il. Pas dans le sang, pas dans les tueries.

Il aurait préféré ne jamais voir surgir la révolution que de la payer du prix des massacres.

Quelques jours après, j’allai l’entendre au Gymnase Huyghens. Quand Jaurès venait parler au quatorzième, dans Montparnasse, j’assistais à un curieux spec-