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bâillent les portes du Paradis nouveau et toujours futur, la bienheureuse société de demain où nous aurons tout à souhait, où les hommes seront doux comme des agneaux. Car c’est généralement dans une extase que s’achève l’ouragan. Le geste de l’orateur devient plus ample, la voix se fait onctueuse. La sérénité s’étend sur les visages et le Socialisme triomphant s’installe sur les ruines du Vieux Monde.

Et quand on sort de là, aux accents de l’Internationale clamée par six mille poitrines, quand on se trouve dans la rue, sous la grossièreté et les menaces des flics, on titube, on est saoul, saoul comme si l’on avait trop bu d’absinthe. On s’en va, la tête vide, la pensée absente, avec du bruit dans le cerveau, la tempête de tout à l’heure dans le crâne. On n’a rien retenu de ce qui a été dit. On ne se souvient plus. On revoit seulement, dans un brouillard, la silhouette démesurément grandie de Jaurès, levant ses poings vers le ciel, semblable à ces divinités géantes des montagnes qui, d’un souffle, font basculer les avalanches.

Ai-je exagéré ? Tous ceux (il en reste encore quelques-uns) qui ont entendu le tribun et se souviennent, affirmeront aux autres, aux jeunes gens qui parlent de Jaurès sans le connaître, que c’est bien ça. Mais Jaurès n’était pas seulement le héros de la tribune, le dieu qui, de son trident, soulevait ou apaisait les tempêtes. Il y avait aussi l’homme d’études, le normalien nourri d’Hegel et de Spinoza. Et il y avait le paysan.

Jaurès était né à Castres, non loin de Cahors qui nous a donné un autre tribun : Léon Gambetta. Le Midi fournit beaucoup d’orateurs et de ténors. L’enfance du futur socialiste fut exempte de heurts. Il entra à Nor-