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Sur Jaurès[1]


On élève un monument à Jaurès. Je pense que l’occasion est excellente pour essayer de ressusciter le tribun dont l’image s’estompe de plus en plus et que les générations montantes méconnaissent ou défigurent, selon leurs tendances d’esprit ou de parti. Car nul plus que Jaurès n’est tiraillé, accaparé, torturé par les clans rivaux qui ne retiennent de l’enseignement de sa vie que ce qui leur paraît pouvoir être utilisé au service de leurs thèses ou de leurs intérêts. Communistes, socialistes, radicaux, anticléricaux se réclament de Jaurès. C’est là le sort des grands hommes. Souvent discutés de leur vivant et bafoués quelquefois, ils sont déchiquetés après leur mort.

À vrai dire, si l’on suit Jaurès pas à pas, dans sa carrière de penseur, de journaliste, d’orateur et d’homme politique, on ne peut qu’enregistrer de multiples contradictions, plus apparentes que réelles. Je dis : apparentes. Jaurès, en effet, dans son évolution toute naturelle qui le guida des marécages centre gauche jusqu’aux sommets du marxisme, conserve une unité splendide. Il n’a varié que dans les détails, parce que soumis aux conditions de la lutte et toujours en contact avec la vie qui, elle, n’est pas une et rigide ainsi qu’un principe. Mais ce qui domine chez Jaurès, c’est l’acceptation délibérément consentie de la discipline socialiste. Ce fut toujours sa règle de con-

  1. Écrit en 1929.