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conversation qui s’établit et monta haut. Ceux qui n’ont pas entendu Jaurès causeur ne savent rien.

Le déjeuner terminé, nous grimpâmes sur le fameux pont. Il régnait sur cette hauteur un vent à décorner un bœuf. Nous nous campions solidement sur nos pieds, tenant à deux mains le chapeau qui menaçait de survoler le fleuve. Tout à coup, catastrophe, Jaurès avait tiré un peu fort sur son melon ». Les ailes lui formaient un collier et il regardait, désespéré, la coiffe qui lui restait dans les doigts.

Le melon était, d’ailleurs, légendaire. On ne savait pas exactement depuis combien d’années le tribun le portait. Il aurait pu être utilisé pour la soupe d’une escouade. Car Jaurès poussait la négligence et le mépris de la toilette un peu loin.

Au retour, le soir, à Nîmes, Jaurès nous annonça qu’il était invité par un collègue de l’Université : Renaudel lui dit très sérieusement :

— Mon cher ami, pour aller ce soir dans le monde, il vous faut un autre chapeau.

— Allons chercher un autre chapeau, dit le tribun en soupirant.

On le conduisit dans une boutique. Il essaya un nouveau melon. Ça allait à peu près. Quand tout fut réglé, Jaurès se tourna vers le commerçant et, avec une parfaite naïveté, lui tendit l’ancien chapeau :

— Ne croyez-vous pas qu’on pourrait le raccommoder ?

Nous nous tordions autour de lui. Mais, au moment de partir, nouvel embarras. On s’aperçut que Jaurès avait un lacet jaune à un soulier et un lacet noir à l’autre. Il fallut lui faire comprendre que « pour aller dans le monde » il devait adopter une couleur uniforme.

Et Jaurès de demander :