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— Non… Corneille…

Cette fois, inquiet, Sembat se pencha vers moi. Je ne pouvais pourtant me dresser et hurler dans ses oreilles : « Corneille… Corneille… » Il ne comprit pas davantage mon insistance à l’interrompre. Et il continua.

Mais quelle pluie de sarcasmes ! Quelle avalanche de mots ! Un moment, il s’interrompit, essuya ses lorgnons, lança :

— J’ai lu dans Spencer…

Une seconde d’arrêt !

— Vous connaissez Spencer, messieurs les jurés, voyons, vous connaissez Spencer… À la Chambre même il est des députés qui le connaissent.

Dans la salle, c’était le fou rire. Les magistrats baissaient la tête, visiblement gênés, ne pouvant tenir leur sérieux. Cela dura près de trois heures. Un véritable feu d’artifice…

Résultat : Un an de prison et trois mille francs d’amende pour votre serviteur et pour le bon dessinateur Aristide Delannoy.

À la sortie, comme j’expliquais à Sembat le sens de mes interruptions à voix basse, il se refusa énergiquement à convenir de son lapsus.

— Ce n’est pas possible !… Voyons !… je ne suis tout de même pas déliquescent comme Clemenceau !…

Il fallut invoquer des témoignages. Le bon Sembat se vit dans l’obligation de se courber devant l’évidence. Il n’en revenait pas. Il me dit :

— C’est votre faute, ça !… Si vous n’aviez rien dit, comme convenu…

Il me quitta, maussade… Mais, au fond, ce qui l’embêtait le plus, ce n’était pas ce lapsus innocent, qui ne pouvait porter préjudice à sa réputation de fin lettré, c’était plutôt le verdict rendu par les jurés.