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de ce dernier, il nous obligea, Delannoy et moi, à admirer sa collection. Je l’entends encore. Je le revois, le geste précis, l’index pointé vers les toiles :

— Et ça ?… Et ça ?… Et ce morceau ?… Hein !… Tenez, regardez-moi ce machin-là !…

Impossible de résister à son enthousiasme. Il avait, d’ailleurs, des mots définitifs. On ne peut imaginer combien ce Sembat était loin du tribun des réunions publiques et des meetings houleux.

Il était né à Bonnières, face à la Seine qui étend son ruban vert autour de petits îlots ravissants, non loin de Giverny, où l’on rencontrait souvent Monet. Il adorait ce coin, auquel il réclamait le délassement et le calme. Mais son enfance s’écoula assez maussadement, dans l’ennui de l’internat, à Stanislas, où il eut comme condisciple Urbain Gohier. Sorti de cette « sentine d’infection morale », comme disait Dumas fils, il se lança dans l’étude du droit. Mais il ne devait pas s’attarder au Palais.

Son évolution intellectuelle qu’il me confia longuement, un jour que je l’interviewais en vue d’une biographie, fut assez curieuse. Il débuta véritablement par Taine, pas seulement le Taine des Origines, mais aussi et surtout le philosophe souriant et sceptique de Thomas Graindorge. Cette lecture devait avoir une immense influence sur son jeune esprit. Ce qui est certain, c’est que Taine lui communiqua, à défaut d’aspirations socialistes, l’amour des philosophes anglais. Il passa rapidement à Carlyle, ce qui le conduisait loin de Karl Marx, puis à Spencer.

Phénomène déconcertant, c’est en lisant Spencer que Sembat se sentit devenir socialiste. Au fond, si l’on veut, bien y réfléchir, cela peut aisément s’expliquer. Mais ce qui s’explique moins, c’est qu’à la même époque, Sembat était féru de Renan. De Renan à Karl Marx !…