Page:Méric - À travers la jungle politique et littéraire, 2e série, 1931.djvu/11

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

liste, porta à l’adversaire les plus rudes coups. Il était aidé en cela par Steinlen, le grand artiste au crayon vengeur, par Willette, par Hermann-Paul, par Luce ! J’ai, chez moi, la collection de La Feuille, et je la parcours, aux heures d’ennui ou de doute. L’effet est prodigieux. On sort de là régénéré, revigoré, tout neuf.

Le premier numéro, qui fit sensation, dénonçait avec âpreté l’alliance franco-russe que d’Axa qualifiait de « mésalliance de la « Marseillaise » et du Knout ». Après quoi, il s’en prenait à la grande presse bourreuse de crânes qui dispense aux pauvres d’esprit la manne des faits divers — dix assassinats pour un sou ! Horribles détails ! — et rend à peu près vain tout effort d’art ou de littérature. Puis, au hasard de la fourchette, l’écrivain piquait l’actualité, s’emparait de l’événement du jour, du fait saillant dont il exprimait tout le jus, dont il épuisait toute l’humaine philosophie, en un raccourci saisissant.

Tout y passa. Bagnes d’Afrique, policiers, magistrats, tourmenteurs, politiciens, hommes de finance, forbans de Bourse, traîne-sabres, prêtraille de toutes confessions et de toutes sacristies. Il n’épargnait rien. Sa plume féroce s’exerçait contre toutes les malfaisances et contre toutes les ignominies. Et il ne pardonnait pas davantage à la foule moutonnière, pétrie dans la sottise, avide de servitude. Il lui arrivait de s’attendrir, tout en crispant ses poings, les ongles rentrés. Alors il devenait poignant. Le cœur du pamphlétaire débordait.

J’ai dit que je reprenais volontiers la collection de La Feuille. Mais il advient que je l’abandonne, découragé. Toutes les batailles d’antan, tous ces cris de généreuse passion, tous ces assauts donnés aux Bastilles, à quoi ont-ils abouti ? Rien de changé. Il y a toujours des enfants qui crèvent dans les colonies pénitentiaires, des