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Voilà comment on s’amusait. Mais le concours de l’Œuvre comportait quelques prix. Il y avait, si mes souvenirs sont bien précis, un brevet de palmes académiques en blanc sur lequel l’heureux gagnant n’avait plus qu’à inscrire son nom. Et il y avait aussi un panier de bouteilles de Loupillon — le vin du président Fallières.

Alléché, je répondis dans les Hommes du Jour, non pour les palmes, mais pour le vin. Et je triomphai. Malicieusement l’Œuvre décerna le premier prix aux détenus politiques de la Santé, victimes de l’arbitraire gouvernemental.

Un soir, comme nous étions réunis dans le parloir, un gardien s’avança vers moi, l’air inquiet. Il me dit :

— J’ai quelque chose pour vous… Seulement, voilà, je ne sais si je puis…

— Qu’est-ce donc ?

— Du vin. Il y a cinq ou six douzaines de bouteilles… Que faut-il en faire ?

— Du vin… Ça doit être un ami qui m’envoie ce cadeau. C’est gentil… Eh bien ! mettez les bouteilles dans ma cellule.

— C’est que… je n’ai pas d’ordres.

La discussion se prolongea. Le brave gardien craignait évidemment de nous voir nous livrer à un excès de boisson. On finit, pourtant, par se mettre d’accord. Il fut entendu qu’on nous débiterait, chaque matin, quatre ou cinq litres — pas davantage.

Là-dessus, un télégramme : L’Œuvre a le plaisir d’annoncer aux prisonniers politiques de la Santé qu’ils viennent de gagner le premier prix à son concours : « Doit-on le dire ? », et elle leur envoie, avec tous ses vœux de prompte libération, une barrique de vin du Loupillon.

Nous débouchâmes, pleins de joie, la première bouteille et nous trinquâmes à l’Œuvre. Mais il faut bien que je le dise (doit-on le dire ?), ce vin du père Fallières,