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avait une lumière éblouissante ; mais la lumière était en arrière et il ne la voyait pas. Et l’ombre la plus noire, la plus terrible, il la prit pour la sienne, pour son double, pour son diable. Il lui sembla que toute cette ombre, cette épouvante, venait de lui ; qu’en riant il était risible ; qu’en maudissant il était maudit ; — qu’en lui-même était le diable. Et Gogol s’épouvanta.

Le sage Tchaadaev pouvait attendre en répétant les paroles de soumission sans espoir : Adveniat regnum tuum. Mais Gogol ne pouvait attendre : il lui fallait fuir son « diable ». Il n’avait pas de nouvelle conception religieuse, ni l’espoir d’une nouvelle Eglise. Et dans l’Eglise morte qui faisait partie du royaume des morts, son âme vivante ne pouvait entrer. Pour y entrer Gogol se fit mourir, comme les raskolniks, les « jeûneurs-suicides » du XVIIIe siècle : renia la littérature, brûla ses œuvres, maudit tout ce qu’il avait béni, bénit tout ce qu’il avait maudi — jusqu’au servage même ; accepta l’autocratie avec l’orthodoxie, l’empire mort avec l’Eglise morte.

L’autocratie fit périr en Tchaadaev un grand penseur ; en Gogol l’orthodoxie tua un grand artiste. Le sort de Gogol est la démonstration qu’en Russie le nouvel élément religieux non lié à l’élément révolutionnaire conduit infailliblement à l’ancienne