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tes les langues étrangères ? Que traduit-on alors ? Est-ce cette forme extérieure de la pensée, cette grâce légère et fugitive de la phrase, ce charme secret de la période ? Évidemment non ; puisque, à moins de connaître à fond cette langue par de sérieuses et pénibles études, à moins d’avoir vécu la vie intime de ce peuple il est impossible de les comprendre, d’en saisir toute la beauté, cette beauté si rare, que développent en nous de longues études littéraires, et qui reste inaccessible à la multitude.

Calomnierons-nous nos compatriotes en disant que plus de la moitié d’entre eux sont fermés aux beautés littéraires de Gustave Flaubert et ne goûtent des joies sans mélange que dans les élucubrations d’auteurs qui sont payés très cher par les grands quotidiens populaires dont ils occupent les rez-de-chaussées ?

Puisque nous sommes bien d’accord sur ce point que ces formes littéraires restent intraduisibles dans les autres langues, pourquoi a-t-on traduit Homère, Virgile, Dante, Cervantès, Rabelais, Shakespeare, Goëthe, Tolstoï ? C’est parce que, dans la vraie littérature il y a autre chose que les mots, qui sont le privilège de quelques-uns ; il y a les pensées, il y a en plus un fond d’idées solide et durable qui est l’apanage de l’humanité lettrée tout entière.