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manqé mon but, mais il ne me restait q’à en prendre mon parti :

Vous me conaissez donc ? lui dis-je.

Il n’eut pas la politesse de faire allusion à ma célébrité, il répondit simplement :

« Je conais tout le monde. »

Je cherchai qelqe temps une réponse filosofique, puis je lui dis :

« C’est beaucoup trop ; je me contenterais de me conaître moi-mème. »

Lui. Vous parlez come les sept sages et vous n’ètes pas plus avancé q’eux ; ce qi ne vous empèche pas de croire au progrès de l’esprit humain.

Moi. Coment n’i croirais-je pas ? Sans ètre plus abiles qe les anciens, nous devons les dépasser, puisq’à leurs travaux dans chaqe science nous avons ajouté les nôtres.

Lui. Et vous regardez la filosofie come une science ?

Moi. Assurément ; èle est mème la première de toutes, puisque les autres lui empruntent leurs principes ; èle est aussi la plus certaine, car èle s’apuie à la fois sur des faits, come les sciences d’observation, et sur des axiomes, comme les sciences de déduxion.

Lui. Les axiomes me sufiraient, et mème, je me contenterais d’un seul.

Moi. Eh bien, vous avez celui de Descartes : Je pense, donc je suis.

Lui. Il n’i a plus q’à définir Je ; or, vous vous plaigniez tout à l’eure de ne pas vous conaître vous-mème.

Moi. Mais vous, qi connaissez tout le monde, i compris vous-mème aparament, vous n’avez pas le droit d’être sceptiqe.