Page:Ménard - Catéchisme religieux des libres-penseurs, 1875.djvu/8

Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 7 —

intérieur. Le dogme persan du Diable, qui a tenu tant de place dans la mythologie chrétienne au moyen âge, tend à s’effacer de plus en plus. De même, le dogme égyptien de la fin du monde, du jugement dernier et de la résurrection des corps, très important aux débuts du Christianisme, a cédé peu à peu la place au dogme grec de l’immortalité de l’âme, plus conforme au génie des peuples européens.

La dernière des religions dans l’ordre des temps, l’Islamisme, est un prolongement du Judaïsme transformé, ou, ce qui revient au même, un Christianisme dépouillé de ses éléments grecs. En supprimant l’incarnation du divin dans l’humanité, qui comblait l’abîme entre le Dieu et l’homme, Mahomet ramena le Monothéisme à sa rigidité, tempérée seulement par la croyance au Diable et à la vie future, que les Juifs eux-mêmes avaient fini par accepter.

L’Islamisme n’a pas étendu sa sphère d’action au delà des limites tracées depuis longtemps par la conquête musulmane ; toutefois, un rapprochement inconscient paraît se préparer entre des religions longtemps ennemies. Des efforts sont tentés pour ramener, dans un but d’épuration, le dogme chrétien à sa source juive. En réduisant ainsi la légende aux proportions de l’histoire, on ôte à l’Homme-Dieu son caractère symbolique et on le rapproche de plus en plus de Moïse ou de Mahomet. Il n’y a qu’une nuance entre la religion juive ou musulmane et ce Christianisme sans mythologie, qu’on nommait Déisme au dernier siècle, et qu’on déclarait la seule religion raisonnable. Cette doctrine est très répandue aujourd’hui dans la classe lettrée ; ceux qui la croient favorable aux progrès de la civilisation peuvent en étudier les effets dans les pays musulmans.

La langue mythologique est si éloignée de nos habitudes d’esprit que le plus souvent on s’arrête à la lettre du symbole religieux, sans même essayer de la traduire sous une forme abstraite qui la ferait aussitôt comprendre. Ainsi quand la Révolution a célébré dans les églises de France le culte de la Raison, personne, ni parmi les partisans, ni parmi les adversaires de cette mesure, n’a remarqué que la Raison avait toujours été adorée dans ces mêmes églises, sous le nom de Verbe ; il n’y avait qu’un changement de sexe, et les idées n’en ont pas. De même aujourd’hui, une école de philosophes, qui veut fonder une religion sur la science positive, déclare que l’humanité doit désormais s’adorer elle-même ; il y a longtemps que cela n’est plus à faire. Seulement il n’y a pas de religion sans culte, et un peuple ne peut adorer une de ces abstractions que les mêmes philosophes appellent des entités. S’ils étudiaient le mécanisme de la langue mythologique, ils reconnaîtraient que le Christianisme a toujours adoré l’humanité dans son type idéal, celui d’un Dieu homme, qui meurt pour le salut du monde. Quant à ceux qui pensent que, pour écarter le danger de la superstition et de la théocratie, il suffirait de remplacer les affirmations religieuses par des négations, qu’ils étudient les nations bouddhistes ; ils pourront se convaincre que l’athéisme n’est pas un préservatif contre la théocratie, et que le néant offert comme perspective et