Page:Ménard - Catéchisme religieux des libres-penseurs, 1875.djvu/28

Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 27 —

principe n’étant pas tout-puissant, il n’y a rien à lui reprocher : il lutte contre le mal, c’est tout ce qu’il peut faire. Que l’homme prenne part à cette lutte et hâte ainsi la victoire du bien, qui doit amener, non l’anéantissement du mauvais principe, mais ce qui vaut mieux encore, sa conversion.

Le Monothéisme hébraïque ne pouvait tenir compte du mal physique, puisqu’il considère la création comme une œuvre divine. Quant au mal moral, c’est un fruit de la désobéissance de l’homme ; le serpent d’Éden n’est que le plus rusé des animaux. Quand les Juifs empruntèrent aux Iraniens la croyance au mauvais principe, ils le subordonnèrent à Dieu, qui lui permet de faire le mal, ce qui ôte au dogme toute sa portée. D’ailleurs, que le Diable soit considéré comme une puissance active ou comme une expression mythologique du vice et du péché, il ne représente que le mal moral ; le problème du mal physique n’est pas résolu ni même abordé.

Les grandes écoles de la Gnose chrétienne essayèrent de remonter plus haut ; avec une hardiesse de pensée qu’on n’a pas égalée, elles cherchèrent la source du mal dans la création du monde visible : puisque ce monde est mauvais, son créateur ne peut être bon ; ce n’est qu’une puissance subalterne et maladroite, très inférieure au Dieu du monde moral, qui est le Bien. Mais l’accusation de vices monstrueux qu’on portait contre plusieurs sectes gnostiques, et qui rejaillissait sur le Christianisme en général, frappait de discrédit leurs doctrines ; l’Église, c’est-à-dire la grande assemblée, les rejeta et n’accepta pas même l’idée moins hardie de la préexistence des âmes, qui expliquait la chute par une faute commise avant la naissance. Elle s’arrêta au péché originel, à l’hérédité du mal, quoique ce dogme semble difficile à concilier avec la justice divine. À la vérité cette difficulté tient seulement à la forme mythologique du symbole, et disparaît quand on en pénètre le sens. L’Éden de l’enfance, le serpent des passions, la rédemption sur le Calvaire de la vie et l’ascension dans le ciel mystique de la conscience exposent très clairement l’évolution morale de l’âme humaine ; mais il n’y a rien là qui se rapporte à la question bien autrement difficile du mal physique. Ce qui accuse la Providence, ce n’est pas le péché, puisqu’il est notre œuvre ; ce n’est pas même la douleur de l’homme, qui n’est qu’une épreuve, comme disaient les Grecs ; c’est la douleur des êtres inconscients et impeccables, des animaux et des enfants. Avant qu’il y eût des hommes sur la terre, la vie s’entretenait comme aujourd’hui par une série de meurtres : il y avait des dents aiguës et des griffes acérées qui s’enfonçaient dans les chairs saignantes. Qui osera dire que cela est bien ?

Les religions orientales, le Panthéisme brahmanique et le Bouddhisme, qui en est sorti, essayent de trancher la question par l’hypothèse des métempsycoses : il n’y a pas de reproche à faire à l’universelle nature si chaque souffrance est l’expiation de quelque faute commise dans une existence antérieure. Mais pour que cette expiation soit juste, il faut que le coupable ait gardé le souvenir de sa faute ; or l’homme qui souffre dans