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vertu de l’homme, y descendront avec lui, comme un maître de gymnase, pour former les athlètes, leur porte des coups qu’il mesure à leurs forces, et leur enseigne en même temps l’art de les parer. La civilisation est une lutte perpétuelle contre la nature, et cette lutte remonte aux origines de l’humanité. La tradition religieuse en a gardé les plus lointains souvenirs dans les légendes des héros dompteurs des fléaux et des monstres, dans la fable antique du Titan ravisseur du feu et créateur du genre humain. Pour triompher par le travail et l’industrie des obstacles que la terre multiplie sous ses pas, l’homme appelle à son aide l’intelligence : voilà pourquoi les bas-reliefs nous montrent toujours Athènè à côté d’Hèraclès et de Prométhée.

Les Grecs rapportaient à l’enseignement des Dieux toutes les formes du travail, l’agriculture, l’industrie, la poésie et la musique qui sont les plus anciens des arts, la médecine qui est la plus ancienne des sciences, la gymnastique qui est l’hygiène du corps. Quant à la morale, c’est la loi spéciale de l’homme, les Dieux n’ont pas à la lui enseigner, il la connaît en se connaissant lui-même ; c’est à lui d’observer sa loi. Les Dieux nous conseillent, mais sans entraver notre liberté, de même qu’une mère guide les pas de son enfant, mais ne marche pas pour lui. L’homme a une lumière qui est sa raison et sa conscience : qu’il choisisse entre la passion et le devoir. Les Dieux nous envoient les passions comme ils nous envoient les maladies, mais l’homme sait que les passions sont faites pour être domptées ; c’est une épreuve pour son courage ; où serait le mérite de la victoire, s’il n’y avait pas de danger ?

Un Grec priait debout, le front haut, dans la noble attitude qui convient à l’homme. Il demandait aux Dieux les biens dont ils sont les dispensateurs suprêmes, le succès dans les entreprises, une vie heureuse pour lui et ses amis, jamais la sagesse et la vertu, car cela est au pouvoir de l’homme ; il les remerciait d’avoir réussi, jamais d’avoir fait son devoir. Quand la liberté républicaine eut disparu du monde, cette foi intime dans la libre volonté de l’homme devint le dernier asile des sages du Portique. Si cette fière doctrine dépassait les forces des âmes fatiguées, était-il donc si difficile de greffer un symbole nouveau sur les croyances d’autrefois ? Il semble au contraire que le culte de l’Homme-Dieu formait le complément naturel de l’Hellénisme. Si l’homme peut être affranchi de la servitude des passions, si le règne de la justice peut s’établir sur la terre, n’est-ce pas par la vertu d’abnégation, par le sacrifice de soi-même au bien des autres, par ce Christ intérieur qui donne son sang pour le salut du monde, et qui est la voie, la vérité et la vie ? Que ton règne arrive, ô sainte Justice ! Nous en appelons à toi de toutes les tyrannies qui nous écrasent, nous t’aimons par-dessus toute chose, nous donnerions notre vie pour ton triomphe, et, dût la mort nous venir de ceux mêmes que nous voulons affranchir, nous te confesserions jusque sous les bombes lancées contre nous par nos frères : pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font.