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La nature nous offre dans les corps simples, dans les éléments, le type visible de l’existence, dans l’animal et dans la plante celui de la vie. Les principes élémentaires des choses sont inaltérables et incorruptibles ; toujours identiques à travers leurs manifestations multiples, ils se prêtent sans se donner et entretiennent toute vie sans vivre eux-mêmes : aussi ne peuvent-ils pas mourir. Les individus vivants, au contraire, ne se ressemblent pas à eux-mêmes deux instants de suite ; le temps les transforme et les altère sans cesse, et sans la continuité des métamorphoses, on ne reconnaîtrait pas l’enfant dans le vieillard. Enfin cette succession d’apparences est limitée dans la durée ; la mort, dernier terme de cette évolution qui commence à la naissance, apporte une éclatante différence entre l’être et le devenir, entre la vie changeante et l’existence immobile, entre l’homme et le Dieu ; la poésie, qui définit chaque objet par son caractère essentiel, sépare nettement les hommes mortels des Dieux qui sont toujours.

Il y a une autre différence, mais elle est notre œuvre, et il dépendrait de nous de la faire disparaître : les lois de la nature ne sont jamais violées ; la loi morale, qui est la nôtre, est rarement accomplie. Les lois physiques sont la manière d’être des choses, leur destinée ; les Dieux ne pourraient ni les changer ni les détruire, car ils ne sont pas seulement les gardiens des lois du monde, ils sont eux-mêmes ces lois dont le concours produit l’harmonie universelle. Les sciences de la nature peuvent en étudier la marche régulière, elle ne trompera jamais leurs prévisions ; en partant du présent, elles peuvent plonger avec sécurité dans le passé et dans l’avenir. La loi morale, qui est la loi spéciale de l’homme, lui est révélée par sa conscience ; elle est sa condition et sa règle, comme les lois physiques sont la règle et la condition des choses ; en vivant selon sa nature, il accomplit sa destinée, il donne sa note dans l’harmonie de l’univers. Mais, contrairement aux choses, il peut violer sa loi ; voilà pourquoi l’histoire n’est que la science du passé : la prévision lui est interdite : on ne prédit pas ce qui peut également être ou ne pas être. Tandis que les lois physiques existent dans la réalité, la loi morale reste dans la possibilité, son existence est idéale ; pour devenir réelle il lui faut notre volonté, c’est à l’homme à créer le Dieu : le principe de toute création, c’est le désir, et ce qui veut être sera.

Dans l’idéal, qui est en dehors du temps, l’avenir se confond avec le présent et le passé. Parmi les possibles, l’idéal représente ce qui doit être ; il est au-dessus du réel, puisqu’il est la règle et la raison de ce qui peut exister. L’idéal, c’est le divin ; dans le monde physique c’est la beauté, dans le monde moral c’est la justice. La nature est belle parce qu’elle suit sa loi ; si l’homme suivait la sienne, il serait juste. La beauté, révélation visible du divin, n’a pas besoin de preuves : on la voit, cela suffit ; on ne discute pas, on tombe à ses genoux. La justice se révèle avec la même évidence dans la conscience humaine. Les Grecs rendaient par un même mot ce double aspect de la loi, leur religion enveloppait les