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damnation, il y a place pour le repentir et pour l’épuration de l’âme par le châtiment. C’est le châtiment qui réveille les consciences endormies ; le coupable y a droit, car ayant la raison pour l’éclairer, il est susceptible d’amélioration. La grandeur de la peine lui fera comprendre l’énormité du crime ; la peine élève et purifie, et c’est pour cela que les Grecs nommaient les Déesses du châtiment les Bienveillantes. Dans le Dualisme iranien, il y a pour les plus grands crimes une amnistie finale ; le mauvais principe lui-même se repentira et sera pardonné à la fin des temps. Sans généraliser ainsi la clémence, les traditions chrétiennes lui laissent une place par la doctrine du Purgatoire. À la vérité, de même que les Sadducéens rejetaient la résurrection dont ils ne trouvaient pas de trace dans leurs livres sacrés, les églises protestantes, enchaînées à la lettre du dogme, rejettent la croyance au purgatoire, tandis que l’église catholique l’accepte, sans abandonner l’éternité de l’enfer. La conscience publique a souvent protesté contre le dogme implacable des peines éternelles, qui semble un outrage à la pitié ; peut-être saisirait-on plus facilement cette théorie de l’irréparable si on la dépouillait de sa forme mythologique et si on lui en donnait une qui fût mieux appropriée aux habitudes de l’esprit moderne :

Un homme a commis un crime, cette nuit, sous le regard des étoiles. Elles sont si loin qu’elles ne l’ont pas vu encore ; mais dans un siècle, dans deux siècles, dans trois siècles, leurs rayons, échelonnés dans l’indéfini du ciel, éclaireront le meurtre. Ce qui est passé sera toujours présent quelque part ; s’il y a là-haut, n’importe où, dans une planète inconnue, un œil ouvert, un télescope braqué (et pourquoi pas ?), il y aura là une voix, qui sera la voix de la conscience éternelle, et qui dira : oh ! l’assassin ! À toute heure, à jamais, l’écho de cette voix sera répercuté dans l’espace. Il y a des astres dont la lumière met trois mille ans à nous parvenir : pour eux, l’heure du crime sera dans trois mille ans l’heure présente. Le meurtrier s’est corrigé, il est devenu un saint : mais quand ces juges lointains donneront leurs suffrages, il ne sera pour eux qu’un meurtrier. Le sang répandu ne rentre pas dans les veines, et aucun Dieu ne peut faire que ce qui est arrivé ne soit pas arrivé. Toute action coupable, injustice, violence, lâcheté ou trahison, une femme séduite, un enfant abandonné, un mauvais conseil, un mauvais exemple, entraîne dans la voie du mal des âmes qui, sans cela, auraient pu tourner au bien. Elles en corrompront d’autres à leur tour, et indéfiniment se prolongera la chaîne maudite : malheur donc au premier anneau. Si le criminel se repent, sa conversion s’étendra-t-elle à tous ceux qu’il a perdus ? Que leur répondra-t-il, quand ils l’accuseront devant l’immuable Justice ? Contre les arrêts de la loi morale, il n’y a pas de prescription : œterna auctoritas esto.


Choix d’une religion.


Si les traditions religieuses du genre humain ont droit à notre respect, la nécessité de les interpréter et de les comprendre implique l’indépen-