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comme éléments dans la création, mais on n’ose pas les attribuer au Créateur, de peur de le mettre en colère, et on croit se tirer d’embarras par ces artifices de langage, qui annoncent peu de franchise et beaucoup de timidité d’esprit. La puissance plastique de l’imagination, qui a créé les mythologies, est tellement épuisée qu’elle ne produit plus que de misérables euphémismes. On peut sans regret rejeter ces vieilles loques et s’en tenir, puisqu’il le faut, aux formes sèches et incolores de la philosophie. C’est exactement ce qui se passe quand les langues vieillissent : l’étymologie s’obscurcit, la grammaire s’étiole, la floraison des désinences se dessèche et les formes analytiques remplacent les formes synthétiques.

Les idées nous paraissent plus clairement exprimées par des mots abstraits que par des images, mais il n’en a pas toujours été ainsi, heureusement pour l’art. Si l’Attraction universelle n’avait jamais été considérée comme une puissance active, comme une personne, nous pourrions avoir le système de Newton, mais nous n’aurions pas la Vénus de Milo ; tout en respectant la science, il est permis d’aimer l’art. Les esprits ne sont pas tous coulés dans le même moule : les uns saisissent mieux la pensée sous une forme concrète et acceptent plus facilement un précepte quand il est enveloppé dans une parabole ; pour d’autres, il faut tirer la morale de l’apologue. Prenons donc la mythologie comme une langue morte et traduisons-la en langue vivante, puisque c’est le seul moyen de comprendre les religions dans une époque philosophique comme la nôtre. Sans cette traduction, aucun système religieux n’échapperait au reproche d’absurdité. Ce reproche, que les Pères de l’Église ont adressé à l’Hellénisme, est renvoyé par les philosophes à la religion chrétienne. Aujourd’hui comme alors, c’est comme si l’on déclarait, en ouvrant un livre écrit en langue étrangère, qu’il ne contient que des mots vides de sens.

L’Herméneutique, c’est-à-dire l’interprétation des symboles, peut seule nous faire pénétrer le sens des religions, et il serait impossible de les comparer si l’on ne commençait pas par les comprendre. En s’arrêtant à l’enveloppe des symboles, on n’est pas plus instruit que si l’on se bornait à regarder les cérémonies du culte. Sans doute l’Herméneutique ne peut pas être une science exacte, pas plus que toute autre forme de la critique ; on risque de s’égarer quelquefois en voulant déchiffrer des hiéroglyphes pour lesquels il n’y a pas de dictionnaire, mais la connaissance de la religion est à ce prix, et la religion est ce qu’il y a de plus précieux dans l’héritage de l’humanité, puisqu’elle représente les diverses formes de l’idéal dans tous les pays et dans tous les temps. Ceux qui la regardent comme un tissu de sottises indigne de l’attention d’un siècle aussi sérieux que le nôtre devraient expliquer comment ces sottises ont produit les plus belles œuvres du génie humain. Si l’on veut pénétrer dans le sanctuaire de la pensée religieuse il faut se garder de cette vanité puérile, et ne pas supposer que le sens commun soit le privilège exclusif de notre pays et