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Coigny, et Mme de Montrouge et Durfort, avec lesquelles il logeait, comme des aristocrates et des conspirateurs. Elle était parvenue à faire mettre les scellés et établir des gardes chez eux. Elle passait d’ailleurs sa vie ou aux jacobins, ou à faire des leçons de patriotisme aux commères du quartier, qu’elle assemblait autour d’elle pour leur lire et leur commenter la feuille du matin ou du soir, et vomir tout ce qu’on peut imaginer d’horreurs contre le roi, la reine, et les nobles et les prêtres. Comme elle tenait ses séances dans une petite cour voisine de mon jardin, j’entendais de ma fenêtre toutes ses harangues, dignes d’une furie sortie des enfers, surtout dans les grandes occasions, comme le jugement du roi, de la reine et de Madame Élisabeth. Elle m’avait cependant jusqu’alors épargné, quoiqu’elle dît bien que j’étais un aristocrate ; mais quelque bienveillance des marchands de mon voisinage, qui étaient contens de mes manières, et surtout de ma dépense chez eux, me défendait et modérait son emportement contre moi. Ma sœur, avant de me quitter, avait tâché de la gagner en lui donnant quelque ouvrage en linge ; mais elle travaillait si mal que ma sœur fut obligée de ne plus l’employer, ce qu’elle fit avec tous les ménagemens imaginables pour ne point l’irriter.

Mais son mari, ayant obtenu je ne sais quelle place qui l’attirait dans la section de l’Observatoire, elle ne fut pas plus tôt établie dans sa nou-