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réduit au service d’un homme qui venait faire ma chambre le matin, et que je ne revoyais de la journée. Je trouvais un bien grand soulagement dans l’habitude que j’ai de m’occuper en écrivant, car il m’était impossible de faire aucune lecture suivie ; mais, comme cette occupation avait pour unique objet de poursuivre et de combattre à outrance ces hommes de sang et leurs lois cruelles, et leur extravagante administration, et leurs crimes de tous les jours, j’étais à tout moment dans une extrême agitation. Après avoir consacré ainsi mes journées entières à répandre sur le papier mes pensées et mes sentimens sur ce gouvernement détesté, je ne me couchais pas sans penser que je pourrais être réveillé pour être jeté en prison. La solitude de ma maison me donnait aussi quelque crainte de brigands d’une autre espèce, les simples voleurs. Toutes ces impressions me poursuivant dans mon sommeil, il m’arrivait souvent de m’éveiller en sursaut et de me jeter à corps perdu de mon lit au milieu de ma chambre, croyant voir et entendre un homme qui voulait m’arrêter ou m’assassiner, et m’imaginant que je lui plongeais un poignard dans le sein. Je me suis trouvé ainsi plus d’une fois jeté sur le carreau, ayant heureusement évité le marbre de ma commode, qui était dans mon chemin, et contre lequel je me serais brisé la tête ou démis l’épaule avec une chute moins heureuse. Je pris enfin le parti de tendre une corde d’un chevet de mon lit à l’autre, du côté par où je pouvais