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les fastes de ces jours détestables ont conservé les noms.

Tous les jours étaient marqués par de nouveaux massacres, et le nombre des meurtres allait sans cesse croissant. Logé au faubourg Saint-Honoré à peu de distance du lieu des exécutions, je ne pouvais aller aux Champs-Élysées dans l’après-dîner, sans entendre les cris d’un peuple féroce applaudissant à la chute des têtes. Si je sortais en suivant la rue de mon faubourg vers la ville, je voyais ce même peuple courant en foule à la place de la Révolution se repaître de ce spectacle ; et, quelquefois, je rencontrais, sans pouvoir les éviter, les fatales charrettes. C’est ainsi que j’ai eu le malheur de voir sans les regarder, et le comte de Brienne, et toute sa famille, allant, au supplice avec Mme Élisabeth : image sanglante qui m’a longtemps poursuivi.

Puisque j’ai nommé les Brienne, que j’ai connus si long-temps, je ne puis me refuser à dire ici quelques mots de plus sur cette famille. Le comte de Brienne, appelé au ministère de la guerre par son frère l’archevêque de Sens, était un homme juste et droit ; il avait peu de talens ; mais, aidé d’un bon premier commis, il eût pu faire un bon ministre, parce qu’il voulait le bien. C’était malgré lui qu’il avait pris cette place, et il la quitta sans regret. On l’a blâmé, de s’être fait donner cent mille francs pour son ameublement à son entrée au ministère, et l’on a eu raison ; mais l’u-