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comme complices d’une même conspiration tramée dans des prisons séparées. Cette nation et cette ville ont vu et souffert que les membres de ces prétendus tribunaux se rassemblassent paisiblement tous les jours aux mêmes heures et dans le même lieu, pour recommencer les mêmes insultes à l’humanité. Enfin, cette nation et cette ville ont vu et souffert une assemblée nationale ou se disant telle, qui, chargée de défendre les propriétés, les libertés, les vies des Français, ordonnait ces horreurs, tandis que les moins coupables d’entre eux n’opposaient aucune résistance à ces lois de sang. Ce phénomène moral n’est pas encore expliqué, si même il est explicable.

C’est dans le cours de ces temps affreux que j’ai vu périr vingt personnes avec lesquelles j’avais passé ma vie ou entretenu des liaisons. M. de Malesherbes, et sa sœur, et sa fille, et son gendre, et la fille et le gendre de sa fille ; le comte de Brienne, et ses trois neveux, et Mme de Canisy ; Mme la duchesse de Biron ; M. de Thiars, les deux Trudaine, André Chénier, M. de Saint-Priest, M. de Choiseul-la-Baume ; Boulogne, Lahaye, La Borde, fermiers généraux ; M. de la Borde, le banquier de la cour ; Lavoisier ; Levieillard, propriétaire des eaux de Passy, ami de Franklin ; M. et Mme de Boisgelin ; le président de Nicolaï et Bailly, mes confrères à l’académie française, et tant d’autres victimes innocentes, dont