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toute la France. L’espion lui demande qui il est, d’où il vient, où il va, où est sa carte de citoyen. Condorcet, assez embarrassé en tout temps de parler et de répondre nettement, dit d’abord qu’il est domestique de M. du Séjour, conseiller à la cour des aides, cultivant les mathématiques, et dont il pouvait donner des renseignemens vrais, à cause de sa liaison avec lui. Mais ses réponses ne paraissant pas suffisantes, l’espion le fait conduire au Bourg-la-Reine, siège du district, où, n’ayant pas pu rendre un compte satisfaisant de sa personne, il est jeté en prison.

Le lendemain matin, on le trouva mort. Il avait pris du stramonium combiné avec de l’opium, qu’il avait toujours avec lui ; ce qui lui avait fait dire à Suard en le quittant : Si j’ai une nuit devant moi, je ne les crains pas ; mais je ne veux pas être mené à Paris.

Étrange et cruelle fin pour un homme de ce talent et de cette réputation !

Sa femme, une des plus belles, des plus spirituelles et des plus instruites qui aient jamais brillé parmi son sexe, retirée à Auteuil, est réduite à faire de petits portraits pour vivre ; et à peine peut-on la plaindre, quand on sait que, non-seulement elle a partagé les fautes de son mari, mais qu’elle l’a poussé aux plus grandes de celles qu’il a faites, s’il est permis d’employer un terme aussi faible que celui de faute pour qualifier tout ce qu’on peut reprocher à Condorcet. Mais il peut offrir ses mal-