Page:Mémoires inédits de l'abbé Morellet tome 1 1882.djvu/79

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tions de la tolérance, et le philosophe qui, voyant la querelle engagée, met ses mains dans les manches de sa robe de chambre et se fait juge des coups.

De cette fois, je gagnai son amitié par la chaleur et la vigueur de logique avec lesquelles je défendis la bonne cause contre mon antagoniste, qui soutenait l’intolérance politique, non pas comme un moine ou un inquisiteur, mais comme un homme de beaucoup d’esprit, et qu’au jugement de Diderot je forçai dans tous ses retranchemens. Nous eûmes ainsi plusieurs autres conférences en tiers, jusqu’à ce que l’abbé, reconnaissant l’inutilité de son zèle apostolique pour ramener Diderot dans le bon chemin, et craignant de se casser le cou, renonça à ses visites de l’Estrapade, et se contenta de prier pour la conversion du philosophe, et sans doute aussi pour la mienne. Je dois ajouter que cet abbé d’Argenteuil était de bonne foi, et que sa vie entière et son désintéressement l’ont prouvé. Il a été aumônier du roi, n’a jamais voulu être évêque : et, après avoir été dépouillé, comme tous les autres et jeté en prison, il est mort pauvre et oublié.

C’est de cette même époque que date ma connaissance avec d’Alembert : je dis connaissance, car ma liaison avec lui ne s’est établie que deux ou trois ans après, et elle ne s’est jamais relâchée. On peut croire facilement combien ma jeunesse était flattée de ce commerce avec des hommes de lettres qui commençaient à marquer dans le monde.