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et devoirs et charges et effets purement civils de la société. Telle était dès-lors notre doctrine, très-philosophique assurément, ou plutôt très-raisonnable, afin d’éviter un mot qu’on a voulu rendre odieux ; et nous ne cachions pas cette doctrine raisonnable, car nous l’établissions jusque dans nos thèses, non sans quelque résistance ou improbation des vieux docteurs, mais sans inconvénient pour nous-mêmes.

Le souvenir de mes conférences des dimanches avec Diderot, me conduit à parler d’un abbé que je rencontrais quelquefois chez lui, l’abbé d’Argenteuil, qui avait fait sa licence avec moi et qui était élève du séminaire Saint-Sulpice. Il avait eu le premier rang de notre licence parmi ceux qu’on appelait Ubiquistes, c’est-à-dire, n’appartenant ni aux moines, ni aux maisons de Navarre et de Sorbonne. Celui-là s’était mis dans la tête de convertir Diderot, et, animé d’un beau zèle, il venait le prêcher à l’Estrapade dans le même temps que je m’y rendais pour une toute autre raison.

Je me souviendrai toujours de notre embarras réciproque, la première fois que nous nous rencontrâmes, et de l’excellente scène que nous donnâmes à Diderot, qui nous voyait chez lui comme deux libertins honteux, se trouvant nez à nez dans une maison suspecte. Mais, après les premiers éclats de rire, on vint à en découdre ; et voilà l’abbé d’Argenteuil et moi qui, conduits par la marche de la conversation, entrons dans les ques-