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Le goût de la littérature et de la philosophie s’était nourri en moi par mes liaisons avec ceux de mes confrères de Sorbonne qui cultivaient l’une et l’autre, tels que M. Turgot, l’abbé de Brienne et l’abbé Bon ; mais surtout par la connaissance que j’avais faite, dans la dernière année de ma licence, avec Diderot et d’Alembert.

Je les avais connus tous deux à l’occasion de la persécution suscitée à l’abbé de Prades pour sa fameuse thèse, oubliée aujourd’hui, mais qui occupa tout Paris pendant deux mois, dans un temps où la Sorbonne et la théologie n’étaient pas encore tombées dans le néant où elles sont ensevelies.

L’abbé de Prades connaissait Diderot ; et en allant voir l’hérétique abbé, je trouvai chez lui le philosophe, qui était bien pis qu’hérétique. L’abbé n’avait pas prétendu faire tant de bruit. Les deux ou trois propositions qui étaient, dans sa thèse, l’objet des déclamations des théologiens, étaient au fond des moyens de répondre aux objections des incrédules contre l’authenticité des livres de Moïse, contre la chronologie de la Bible, contre l’autorité de l’église. Mais quelques docteurs fanatiques s’échauffèrent ; quelques fripons crurent avoir trouvé le moment de se tirer de leur obscurité, et d’attraper des bénéfices ; d’autres virent dans cette affaire une occasion de donner quelque lustre à la Sorbonne. Enfin, on vint à bout de faire intervenir le parlement, d’obtenir une censure de la Sorbonne, un décret de prise-de-corps, et l’on força l’abbé de