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avaient exigé ce sacrifice. La pièce commençait par ce vers :


Peuple jadis si fier, aujourd’hui si servile, etc.


Elle fit du bruit. On voulut en découvrir et en punir les auteurs. Sigorgne en avait donné des copies ; on disait même qu’il les avait dictées à ses écoliers. Il fut arrêté et mis à la Bastille. Il ne voulut point nommer l’auteur, quoique sa liberté fût à ce prix, et il passa plus d’une année en prison, d’où il ne sortit que pour être exilé à Vaucouleurs, en Lorraine, pays de sa naissance.

À quelques années de là, l’évêque de Mâcon lui donna un canonicat ; l’exilé devint le grand-vicaire de l’évêque, et obtint une abbaye, par le crédit de M. Turgot, dès la première année du nouveau règne.

Pour l’abbé Bon, désespéré que ses vers eussent fait le malheur de son ami, il traîna depuis une vie languissante, et fut, dès ce moment, frappé de la maladie dont il est mort avant le temps. C’était un homme d’une énergie rare ; admirateur passionné des bons ouvrages, il ne parlait qu’avec enthousiasme de Fénélon, de Vauvenargues et de Voltaire ; il y joignit bientôt Jean-Jacques Rousseau, qui commençait à s’illustrer peu de temps après l’époque dont je rappelle le souvenir ; et ces sentimens, il les avait inspirés à M. Turgot, on avait du moins contribué à les développer en lui.