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les caractères des hommes de quelque valeur que j’ai connus, les affaires de quelque importance publique auxquelles j’ai pris une faible part, enfin les évènemens de ma vie privée, et l’ordre de mes travaux littéraires.

Parler ainsi de moi, sera peut-être, aux yeux de quelques personnes, un tort et un ridicule. Je ne me justifierai pas par l’exemple de Montaigne, ce qui serait vain, ni par celui de J.-J. Rousseau, qui n’a pas besoin d’apologie lorsqu’il parle si éloquemment de lui, et à qui je ne prétends pas ressembler en cela, non plus que par la liberté et même l’injustice avec laquelle il parle souvent des autres. Mais je dirai que cet écrit devant, après moi, tomber entre les mains de ma famille, ce n’est qu’à moi-même et aux miens que je parle de moi, ce qui est assurément bien loisible.

J’ajouterai que je parle de moi, parce que c’est ce que je sais le mieux, parce que c’est ce que je puis rendre avec le plus d’intérêt pour moi-même, et peut-être, par cette raison, pour mes lecteurs ; c’est enfin, à mes périls et risques ; car, si j’ennuie, on me laissera là, et je ne puis espérer d’être lu qu’en méritant de l’être.

Je suis né à Lyon, le 7 mars 1727, l’aîné de quatorze enfans. Mon père était marchand papetier, et son commerce, borné comme ses capitaux, ne lui laissait guère les moyens de donner à ses enfans une éducation longue et coûteuse, comme celle qui peut former un homme de lettres.