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lequel il s’établit une fête et une foire ; où le concours de tous les villages voisins lui a depuis fait vendre et boire chaque année tout son vin en huit jours.

Puisque j’ai nommé ce Basquiat, je veux conter une autre facétie de sa façon, à laquelle je ne puis penser sans rire. Nous allions souvent chez l’ambassadeur, qui vivait fort noblement. Nous y trouvions quelquefois un M. de Turbilly, gentilhomme français, frère d’un autre Turbilly qui s’occupait en ce temps-là d’expériences d’agriculture, et de charrues, et de semoirs. Celui de Naples était ennuyeux à fuir d’une lieue, de ceux que les Italiens appellent secatore di strada publica, ennuyeux de grand chemin, par allusion aux voleurs qui vous attendent sur les routes pour vous assassiner. L’ambassadeur le recevait par bonhomie, sans disconvenir qu’il était le fléau de la société.

Lorsque Basquiat voyait que son ambassadeur commençait à se lasser de Turbilly, il lui demandait la permission de l’en débarrasser. Alors commençait une scène la plus divertissante du monde. Basquiat s’approchait du Turbilly, et le rencoignait bientôt dans la croisée la plus voisine de la porte. Là, le prenant à la boutonnière, il lui entamait un conte qui ne finissait pas, ou une discussion vague qui ne marchait pas, ou des raisonnemens à perte de vue, enchevêtrés les uns dans les autres avec un art vraiment prodigieux ; assaisonnant son discours de bâillemens si naturels qu’ils gagnaient bien vite