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à Rome. Ces descriptions sont partout, et celles des artistes et des vrais amateurs rendraient les miennes superflues, quand je pourrais me flatter de les faire bonnes ; or, j’ai dit que ce talent me manque absolument. Je rappellerais pourtant quelques-unes de mes impressions.

Celle que m’a faite Saint Pierre est, sans comparaison, la plus forte et la plus profonde que j’aie éprouvée, mais je ne dis pas la plus subite ; car, je puis confirmer de mon témoignage ce que beaucoup de voyageurs ont écrit, que cet édifice majestueux ne frappe pas d’abord de toute l’admiration qu’il inspire par degrés. On ne saisit pas dès l’entrée son immensité. De la porte on aperçoit deux anges placés contre les deux premiers piliers, et tenant les bénitiers à la moitié de leur hauteur. On les croit tout près de soi, on leur donne, à l’œil, la stature humaine ; on s’avance, et on marche beaucoup plus long-temps qu’on n’avait cru, avant d’arriver jusqu’à eux : là, tout ce que peut faire un homme de la taille commune est d’atteindre à l’eau bénite, et l’ange est une figure de dix à onze pieds[1].

Vous reconnaissez cette même illusion sur la distance et les grandeurs, en avançant dans ce vaste vaisseau. Les grands piliers, qui soutiennent des arcs immenses, vous paraissent à l’œil infiniment

  1. Voyez Montesquieu, Essai sur le goût.