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pur que je respirais pour la première fois à cette hauteur, le spectacle ravissant qui se présente sitôt que l’on commence à descendre vers la belle Italie, tout cela me jeta dans une sorte de rêverie si douce, si voluptueuse, que j’en étais hors de moi, et que le souvenir m’en affecte encore profondément, après plus de quarante ans écoulés.

Arrivés au-delà de Parme, nous suivîmes la côte de l’Adriatique, Pezaro, Fano, Sinigaglia. Là, nous prîmes les Apennins par Fossombrone, allant jour et nuit.

Je ne puis oublier de conter ici le risque que nous courûmes en traversant ces montagnes. Nous avions passé la nuit dans notre chaise, gravissant par des chemins bordés de précipices, au fond desquels nous entendions rouler des torrens. Les chevaux faisaient feu des quatre pieds sur ces rochers ; et, s’ils se fussent rebutés, rien n’était plus aisé que de reculer dans un abîme. Nous étions, l’abbé de la Galaizière et moi, enveloppés dans nos redingotes, ne soufflant pas le mot, et nous résignant à la destinée dont on nous avait fait peur en nous voyant partir ainsi de nuit, contre l’usage des voyageurs qui prennent cette route. Cependant le jour paraît, et nos inquiétudes diminuent. Il était neuf heures du matin, lorsqu’en entamant une longue montagne, je propose à mon compagnon de descendre pour nous dégourdir les jambes et soulager les chevaux. Nous montons en suivant la voiture. Tout-à-coup nous voyons les chevaux se rebuter,