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réorganisation de l'état major général

pour moi d'avoir été appelé le premier à diriger les travaux de ces grands organes militaires dans les années qui ont préparé la grande guerre.

Je ferai cependant une réserve en ce qui concerne la réorganisation de l'état-major de l'armée. M. Messimy n'avait pas cru devoir subordonner les directions d'armes du ministère au chef d'état-major général ; le décret du 28 juillet les faisait dépendre directement du ministre. Ce fut, à mon avis, regrettable et j'eus fréquemment à déplorer leur indépendance vis-à-vis de moi, notamment celle de la direction d'artillerie. J'aurai à revenir sur ce sujet.

Aussitôt nommé, je fis demander une audience au président de la République, qui, en réponse, m'invita à déjeuner à Rambouillet.

J'ai toujours eu pour M. Fallières le plus grand respect et la plus haute estime ; je l'ai toujours trouvé profondément attaché à l'intérêt de la France. Son bon sens, sa finesse, sa droiture n'excluaient chez lui ni la fermeté ni l'autorité.

C'est donc avec plaisir que je me trouvai dans cette fin du mois de juillet en face du chef de l'État. Il m'accueillit par ces paroles : "Je suis heureux de voir un officier du génie à la tête de l'armée. La guerre, à mon avis, est en effet devenue un art d'ingénieur."

J'ai pensé souvent à ces paroles ; elles sont profondément vraies : le seul génie militaire serait aujourd'hui insuffisant s'il n'était pas aidé d'un esprit d'organisation apte à combiner les multiples moyens que la science et le progrès industriel mettent au service de l'armée. Combien ces paroles prennent encore plus de poids au lendemain d'une guerre de masse qui a mis en lumière l'immense complication de tous les organes qui y ont participé.

Cependant, la crie ouverte par l'arrivée de la Panther dans les eaux d'Agadir était loin d'être terminée. Je me souviens à ce sujet d'une entrevue que j'eus au début d'août avec M. Caillaux en présence de M. Fallières. Le président du Conseil me posa à brûle-pourpoint cette question : "Général, on dit que Napoléon ne livrait bataille que lorsqu'il pensait avoir au moins 70 pour 100 de chances