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LA CLIQUE.

afin de se procurer des vivres, puisqu’on ne pouvait s’en procurer régulièrement. Dans chaque régiment, les plus braves soldats avaient donc formé des bandes de maraudeurs qui savaient, avec un talent merveilleux, connaître les lieux où l’on préparait les vivres pour les ennemis, et employer la ruse et l’audace pour s’en emparer.

Un fripon de maquignon étant venu prévenir la clique du 1er de housards qu’un troupeau de bœufs qu’il avait vendu aux Autrichiens parquait dans une prairie à un quart de lieue de Dego, soixante housards, armés seulement de leurs mousquetons, partirent pour les enlever. Nous fîmes plusieurs lieues dans la montagne, par des chemins détournés et affreux, afin d’éviter la grande route, et nous surprîmes cinq Croates commis à la garde du troupeau, endormis sous un hangar. Enfin, pour qu’ils n’allassent pas donner l’éveil à la garnison de Dego, nous les attachâmes, et les laissant là, nous enlevâmes le troupeau sans coup férir. Nous rentrâmes au bivouac harassés, mais ravis d’avoir fait une bonne niche à nos ennemis, et ensuite de nous être procuré des vivres.

Je n’ai cité ce fait que pour faire connaître l’état de misère dans lequel se trouvait déjà l’armée d’Italie, et pour montrer à quel point de désorganisation un tel abandon peut jeter les troupes, dont les chefs sont obligés non seulement de tolérer de semblables expéditions, mais de profiter des vivres qu’elles procurent, sans avoir l’air de savoir d’où ils proviennent.